La parole aux journalistes : interview de Benoît Zante, journaliste indépendant
Cette semaine, nous interviewons Benoît Zante, journaliste indépendant qui collabore régulièrement avec des médias comme Maddyness, Mind ou Hub Institute. Co-auteur du livre “Les défis de la transformation digitale – 27 décideurs de l’industrie témoignent de leur expérience” (édition Dunod), Benoît couvre depuis bientôt dix ans les sujets liés à la transformation digitale des entreprises. Plongeons avec lui au cœur d’un sujet vaste, en évolution perpétuelle, qui concerne l’ensemble des acteurs économiques.
Pourquoi avoir choisi ce sujet et ce format d’interview pour votre livre ?
Le constat à l’origine de ce livre, c’est que la plupart des gens se sentent perdus face à la transformation digitale, malgré l’abondance d’informations et d’articles à ce sujet dans les médias. Il y a un vrai besoin de témoignages concrets de la part des entreprises ayant déjà initié ou mené leur transformation digitale, à destination de celles qui s’interrogent encore.
L’une des idées que l’on voulait combattre, avec Quentin Franque, co-auteur du livre, c’est que la transformation digitale ne concerne pas que les grands groupes, mais aussi les ETI et les PME, dont on parle finalement peu. Notre conviction, c’est que, quelle que soit leur taille, les entreprises ont toutes quelque chose à apporter aux autres en termes de bonnes pratiques et d’approche.
Au total, nous avons rencontré 50 décideurs – DSI, directeurs-rices du digital, du marketing ou du e-commerce, PDG, fondateurs-rices de start-ups – représentant tous les types d’entreprises, et nous avons gardé 27 interviews illustrant des cas emblématiques. Nous avons essayé au maximum de varier les profils des personnes interviewées, le type d’entreprise et de secteur d’activité, et de multiplier les angles de points de vue. La bonne nouvelle, c’est que, contrairement à ce qui était encore le cas 3 ou 4 ans en arrière, les retours d’expérience et les témoignages de la part des entreprises sont de plus en plus faciles à obtenir, traduisant une vraie prise de conscience de l’intérêt de partager son expérience et de communiquer, en toute transparence, sur ce qui marche ou pas.
Quel est le principal enseignement que vous tirez des 27 témoignages d’entreprise présentés dans votre livre ?
Le premier constat, c’est que la transformation digitale concerne absolument toutes les industries, même les plus traditionnelles. Le deuxième enseignement, c’est que son principal enjeu n’est pas technologique, mais bien celui d’un changement de culture et d’adoption de nouvelles pratiques, de nouveaux usages, et d’une nouvelle façon de considérer le client. Peu importe les sommes investies par les entreprises pour mettre en place des outils numériques, cela ne fonctionnera pas dans la durée si ces outils ne sont pas adoptés par l’ensemble des collaborateurs. La transformation digitale est avant tout un enjeu humain.
Parmi les 10 défis majeurs liés à la transformation digitale que vous listez, lequel est, selon vous, le plus significatif et pourquoi ?
C’est celui que nous avons intitulé “accompagner le changement”. Car si l’importance de la mise en place d’outils et de pratiques pour faire avancer les choses est bien comprise par le dirigeant d’une entreprise et par les équipes sur le terrain, il existe aussi un niveau intermédiaire de collaborateurs qui ne vont pas forcément comprendre le sens de cette transformation, ni la raison pour laquelle l’entreprise se met à modifier sa façon de travailler. C’est auprès de ces personnes qu’un accompagnement est nécessaire, pour les rassurer et donner du sens aux actions de changement, souvent source d’inquiétudes et de peurs. Le dirigeant et son équipe ont un vrai rôle à jouer pour insuffler cette dynamique et faire preuve de pédagogie. Plus qu’une “conduite” du changement, il faut mettre en place une véritable “culture” du changement, c’est-à-dire un état d’esprit positif et agile, capable d’anticiper les évolutions du numérique, mais aussi de se préparer, demain, à d’autres défis comme la transition écologique.
En effet, durant les six derniers mois de notre travail d’interview, nous avons vu émerger le sujet de la transition énergétique de la part des entreprises, alors qu’il n’avait pas du tout été évoqué durant les douze premiers mois. Nous avons senti une évolution, l’émergence d’une tendance chez les dirigeants. Et pour réussir cette transition énergétique, il faut avoir préalablement réussi sa transition digitale, car c’est très compliqué de mener de front deux transformations fondamentales comme celles-là, surtout pour des petites structures.
Et quel est le cas d’entreprise qui vous a le plus marqué ?
C’est l’exemple des laboratoires Pierre Fabre, un groupe familial spécialisé dans les médicaments et les cosmétiques. Le dirigeant, très impliqué dans cette optique de transformation, a toujours eu conscience que le mouvement ne serait pas facile à opérer et qu’il y aurait des difficultés certaines. L’entreprise a réalisé qu’avec le développement du digital, ses clients finaux s’adressaient directement à elle via les réseaux sociaux, venant bouleverser la façon dont l’entreprise avait fonctionné jusqu’à présent, en passant uniquement par les distributeurs pharmaceutiques et les prescripteurs. A l’issue d’un travail collectif de réflexion et d’identification de ses valeurs et ses forces, l’entreprise a pris conscience de la nécessité d’intégrer ses clients finaux dans sa communication et son cycle de production. Encore une fois, cette révolution a été plus loin que le simple aspect technologique, avec un véritable changement d’approche et d’organisation.
Pensez-vous que les entreprises sont toutes au même niveau, en retard ou en avance en matière de transformation digitale ?
Le chantier est globalement énorme et toutes les entreprises n’ont pas encore pris conscience de l’importance des changements en cours et à venir. L’amorce de ce mouvement chez les petites entreprises est un enjeu à très court terme. Parmi celles que nous avons interrogées, certaines savent qu’elles risquent de disparaître si elles n’arrivent pas faire évoluer leurs pratiques. Néanmoins, la transformation digitale représente aussi une nouvelle source d’opportunités et de croissance pour les secteurs qui ne sont pas encore entrés dans cette phase d’évolution. De plus, le fait d’être en retard sur sa transformation digitale n’est pas forcément un handicap, car les entreprises qui commencent seulement leur transition peuvent s’inspirer de ce qui a déjà été fait dans d’autres secteurs et éviter de reproduire les mêmes erreurs.
Pour finir, quel est le principal conseil que vous donneriez à une entreprise qui débute sa transformation digitale ?
Comme dans l’exemple de Pierre Fabre, le travail de réflexion doit être collectif et prendre en compte les idées de tous les collaborateurs pour espérer revoir l’organisation de l’entreprise dans son ensemble. Il faut également activer un maximum de leviers différents pour ne laisser personne de côté : cela passe par un travail de formation et d’acculturation, l’évolution des postes, l’organisation de tests. Certains choix sont difficiles à opérer et peuvent faire émerger des tensions. Un des objectifs doit être d’éviter autant que possible les problèmes humains ou les départs de collaborateurs, en mettant en place des actions pour accompagner le changement et aider les équipes à se former et évoluer avec la nouvelle vision de l’entreprise.
Nous vous incitons fortement à lire ce livre passionnant sur la transformation digitale. Il est disponible en format livre ou ebook sur le site de son éditeur, Dunod ou dans une librairie près de chez vous grâce à Place des Librairies.
Propos recueillis par Elodie Buch
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