Comment la désinformation se propage-t-elle et quels sont les bons réflexes à acquérir pour éviter de tomber dans ses pièges ? C’est ce que nous allons aborder aujourd’hui dans ce nouvel article.

Quand les punaises infestent plus les esprits que les lits

Le 19 mai 2023, un hôpital à Lyon ferme en raison d’une invasion de punaises de lit. Le 21 juillet, l’Anses publie un rapport sur l’impact de ces nuisibles, déclenchant ainsi une première secousse médiatique. De septembre à octobre 2023, après la découverte d’un cinéma UGC  envahi à son tour, la secousse se transforme en un séisme informationnel permanent. Les chiffres donnent le vertige : environ 494 000 publications sur les réseaux sociaux par un ensemble de 179 000 auteur.es, 200 politiques qui interviennent, 199 journalistes et plus de 100 articles publiés sur le sujet. Les punaises de lit étaient devenues un sujet brûlant de fin d’année, qui a pris énormément d’ampleur au point de devenir un sujet de raillerie à l’international. À l’époque, notre directeur Édouard, alors en voyage d’affaire au Japon, fut même obligé de rassurer plusieurs de ses interlocuteurs nippons inquiets sur le sujet.

Devant une telle démesure, analyser les tenants et aboutissants de cette panique médiatique est une nécessité. Parce que les relations presse sont l’un des rouages de cette mécanique, il est opportun de comprendre par un cas d’usage comment la désinformation  fonctionne et d’essayer de proposer certaines mesures pour s’armer contre de futures ingérences informationnelles.

Puisque la rédaction d’un tel article constitue une opération délicate, je propose de citer d’emblée mes sources : tout d’abord, c’est la lecture de l’analyse du phénomène par le très intéressant blog Reputatio Lab qui est à la genèse de ce papier via son article « Comment s’est propagée la polémique des punaises de lit ? ». À cela s’ajoute un long entretien avec M. Kélian Sanz Pascual, analyste géopolitique à Cassini Conseil et chargé de recherche au centre GEODE, spécialiste de la Russie et de l’utilisation des technologies numériques et de la désinformation à des fins d’objectifs stratégiques, qui m’a fait l’amitié de répondre à mes questions et de m’éclairer grâce à son expertise. Bien sûr, d’autres sources d’informations émaillent l’article et seront citées en bonne et due forme au moment opportun.

Au commencement était l’Anses

Revenons à la première réplique. L’origine de la viralité provient d’un rapport qui avait été publié par l’Anses, qui atteste effectivement d’une augmentation du nombre de punaises de lits en France et plus particulièrement à Paris. C’est cette réalité incontestable qui engendre ce phénomène viral avec une forte mobilisation des réseaux sociaux. Comme souvent dans de telles circonstances, c’est l’humour qui est utilisé comme vecteur pour diffuser l’information.

C’est ici la culture internet qui est à l’œuvre par un effet d’entraînement où les mêmes, les montages et autres traits d’esprit confondent rumeurs et informations. Par jeu, les blagues répondent aux blagues et ont pour effet d’amplifier le phénomène qui se nourrit autant des faits comme une vidéo qui révèle l’apparition de punaise de lit dans un train SNCF que des commentaires à l’instar de l’amalgame qui a été opéré par CNEWS entre ces nuisibles et l’immigration. Ces deux axes sont des versants inamovibles de cette séquence médiatique, d’un côté l’humour qui opère comme prisme cathartique et de l’autre une lecture politique de la situation qui ajuste les faits à des schémas politiques antérieurs dont la crise ne serait qu’une énième incarnation et qui, de facto, illustrerait l’immobilisme de l’état sur la question (qu’on pourrait résumer à la question migratoire du côté droit de l’échiquier et à la paupérisation du côté gauche). En outre, Reputatio Lab a réalisé une magnifique cartographie des relations de ceux qui en ont discuté sur les réseaux.

You are Fake News

Pour alimenter les discussions, beaucoup d’articles et de captures d’écrans se répandent. Deux d’entre elles étaient particulièrement populaires : un article de La Montagne et un autre de Libération, qui se sont révélés être des contrefaçons. C’est une méthode de désinformation qui se répand de plus en plus et est connu sous le nom de dopplegänger (qui provient du mythe allemand où une personne possède un double maléfique). La mécanique consiste à imiter un média reconnu pour diffuser de fausses informations.

À ce titre, l’article truqué de Libération est intrigant. La capture d’écran manufacturée affirmait ceci :

Les parasitologues estiment que l’épidémie de punaises de lit à Paris est liée à l’afflux de réfugiés ukrainiens dans la capitale.

Sans surprise, derrière cette désinformation se trouvent des puissances étrangères, notamment la Russie. Il est intéressant de revenir au détour de cette information sur Pascal Praud et CNEWS qui avaient fait un lien entre punaise de lit et immigration, entraînant la saisine de l’Arcom.

Sans commenter cette excursion rhétorique qui a trait avec la ligne éditoriale de la chaîne, il s’agit ici de reconnaître que le contexte de la globalité des informations n’avait pas vocation à être associé à la question. Mais comme la question migratoire est un sujet de fond pour cette émission, l’irruption de l’actualité a forcé le mariage malheureux de deux thématiques qui n’auraient pas dû se croiser. L’effet ici est vicieux, parce que l’intervenant a réfuté tout lien entre immigration et punaise de lit ; pourtant la question suffit pour suggérer l’idée que ces sujets pourraient être co-dépendants. C’est ce même mécanisme qu’on retrouve dans l’opération de propagande russe, l’association de deux thématiques qui ne devaient pas se croiser, mais qui ont été associées. L’immigration africaine a simplement été troquée par une immigration ukrainienne.

En somme, il est indispensable de savoir distinguer les corrélations des causalités. Ce site permet d’occuper quelques minutes de son temps et de trouver des données qui, bien que convergentes, ne sont en aucun cas liées.

Cette confusion logique était l’une des marques de fabrique de RT France : énoncer des faits vérifiés et véritables associés avec des thématiques, sans aller jusqu’à l’association explicite – mais de manière assez insidieuse pour que leurs lecteurs fassent eux-mêmes le lien –, puis compter sur certaines communautés comme chambre de résonance. Pour ce média, cette méthode avait l’élégance de lui permettre de toujours rester à l’écart d’une accusation, puisqu’au final, le lien n’a jamais été formellement verbalisé et aucune responsabilité ne peut lui être imputée par rapport aux interprétations formulées. Plus encore, une fois la rumeur durement imprégnée dans les esprits, le média pouvait reprendre des publications des réseaux et alerter via des articles qu’ils avaient eux-mêmes inspirés.

Le charme discret de la désinformation

Pour qui travaille dans le secteur de l’information, la question de la désinformation rôde en permanence. Arriver à la définir est un défi à part entière, comprendre les motivations derrière est un exploit encore plus grand. En somme, c’est quoi la désinformation ?

Dictionnaire

En effet, il n’existe pas une seule et unique désinformation, mais trois grands types suivant deux paramètres –  si l’information est vraie ou fausse et si la diffusion est volontaire ou non.

  1. Il y a la désinformation, diffusion d’une fausse information de façon volontaire.
  2. Il y a la mésinformation, diffusion d’une fausse information de façon involontaire – typiquement, quelque part on peut raccrocher la viralité des punaises de lit à de la mésinformation, puisque l’information était réelle. Le faux surgit dans l’emballement médiatique qui n’était pas conscient.
  3. Il y a enfin la mal information, une forme assez vicieuse de manipulation de l’information, qui consiste en la diffusion d’une vraie information de façon volontaire, mais cette dernière va être tronquée, présentée d’une certaine manière pour suggérer une causalité pourtant inexistante.

L’abrégé des mensonges

L’objectif de la désinformation est simplement de communiquer une mauvaise information. Choisir d’en faire l’historique consiste à tisser la chronologie d’un phénomène ancien qui a été surtout mobilisé dans des objectifs militaires. Avec un petit effort d’extrapolation, il y en a déjà des traces dans le traité de Sun Tzu, qui précise bien qu’il est largement préférable pour une armée de vaincre par la désorganisation de la société adverse et la réédition sans aucun combat que par les effusions de sang :

Traversez leur gouvernement, semez la dissension parmi leurs chefs, fournissez des sujets de colère aux uns contre les autres, faites-les murmurer contre leurs officiers, ameutez les officiers subalternes contre leurs supérieurs [-], répandez parmi eux quelques airs d’une musique voluptueuse qui leur amollisse le cœur.

– Sun Tzu – L’art de la Guerre

De même, il est assez facile de trouver des cas de désinformation dans les campagnes de Jules César, dont l’ouvrage La Guerre des Gaules avait l’ambition de présenter les populations celtes conquises comme redoutables afin de mettre en avant son génie militaire et donc, par effet de levier, d’augmenter son prestige.

C’est un mécanisme redoutable qui, à l’échelle de l’histoire, a prouvé être une source de chaos sans pareil. C’est le cas de la supercherie tristement célèbre dite du Protocole des Sages de Sion, un faux documenté forgé la fin du XIXe siècle, prétendu plan de conspiration juif pour dominer le monde qui, bien que rapidement identifié comme une falsification, a eu un impact dévastateur, notamment en Russie où il a été utilisé pour alimenter les pogroms antijuifs sous le régime tsariste. Son influence s’est également étendue aux cercles antisémites en Europe, particulièrement en Allemagne, où les nazis l’ont manipulé pour justifier leur idéologie raciste et leur programme génocidaire.

L’âge des ténèbres

Plus proche de nous, depuis le Brexit, il est de plus en plus courant d’entendre parler « d’ère de post-vérité ». Ces mots existent déjà depuis 2004 et ont pour finalité de diagnostiquer une crise informationnelle émergente à la suite de la mise en concurrence entre la presse et des médias informels – à savoir les blogs et les réseaux sociaux. Cette mise en concurrence coïnciderait avec une certaine porosité médiatique aux éléments de langage politique et commercial qui viendrait déconcerter les bornes journalistiques et relèguerait le concept de vérité à une querelle philosophique.

Comme mentionné précédemment, la désinformation n’est pas un problème contemporain. En revanche, la rapidité de diffusion d’une information affranchie de garde-fous institutionnels (qui ne sont pas forcément plus fiables historiquement) en est bel et bien un. Parce que le filtre du temps s’est dissout, les rumeurs pullulent et le problème qui revient est celui de la loi de Brandolini.

La quantité d’énergie nécessaire pour réfuter du baratin est beaucoup plus importante que celle qui a permis de le créer.

– Alberto Brandolini – Twitter

La société du vacarme

Il est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi il semble y avoir un manque d’étanchéité pour les fausses informations contrairement aux vraies, malgré une vitesse de circulation équivalente. C’est dans les émotions ressenties qu’il faut trouver un début de réponse, car les fausses informations génèrent des émotions fortes – à l’image de la colère, de la tristesse ou de la révolte –, qui se synthétisent dans un titre volontairement aguicheur et faussement explicite, ce qui amène régulièrement à un partage qui s’est dispensé de la lecture.

La viscéralité de ces comportements a permis l’émergence de sociétés qui se spécialisent dans la diffusion de désinformations. Aussi, en sus des états à l’origine de la manipulation de l’information, c’est également devenu un commerce pour des agences dites de gestion d’influence.

Le football il a changé

Médiapart avait ainsi révélé que le club du Paris Saint Germain avait recouru à une société qui s’était spécialisée dans ce qu’ils appelaient la gestion de l’image publique (UReputation, filiale de l’agence Digital Big Brother) pour constituer une armée de « trolls ». Pendant à peu près deux ans, cette entreprise a administré un certain nombre de faux comptes pour commenter de façon positive ou négative des éléments qui pouvaient porter atteinte à la réputation du club. L’une des aspérités de leur travail touchait . Ce feuilleton médiatique qui s’est prolongé sur plusieurs années a donné lieu à une avalanche de commentaires provenant de ces faux comptes, tantôt agressifs, tantôt suppliants, et qui avaient pour destination autant le compte du champion du monde que des comptes associés pour essayer de l’influencer, de sorte à le faire rester au sein du club. Ici, c’est le bénéfice financier qui est à l’origine de la désinformation.

Guerre et Paix

En poursuivant l’analyse, il est crucial de comprendre que la désorganisation de la société est devenue une arme de choix dans les conflits contemporains, tant à des fins politiques qu’économiques. La propagation de fausses informations ne vise pas seulement à induire en erreur, mais à déséquilibrer les adversaires et à prendre l’ascendant sur des théâtres d’opérations, que ce soit dans des contextes de guerre ou dans des interactions économiques et diplomatiques. Un exemple concret est celui de la Russie, qui utilise une combinaison d’objectifs étatiques et lucratifs pour diffuser de fausses informations visant à perturber les sociétés occidentales.

Le président russe Vladimir Poutine a clairement désigné les sociétés occidentales comme ses adversaires, encourageant ainsi des initiatives citoyennes visant à semer la discorde. Ces patriotes auto-proclamés s’appuient ainsi sur les réseaux sociaux et autres plateformes pour propager des rumeurs et des polémiques sans se soucier de leur véracité, dans le seul but de déstabiliser. Cette stratégie vise à occuper le champ informationnel, voire à provoquer des manifestations violentes, afin de détourner l’attention des gouvernements et de les affaiblir dans leur soutien à des initiatives internationales.

Dans le cas des Jeux Olympiques de Paris 2024, cette menace réelle ou supposée a joué à plein, obligeant l’État français à déployer des moyens sécuritaires colossaux afin de protéger les jeux. Certes les Russes n’ont pas réussi à perturber ce rassemblement international auquel ses sportifs n’ont quasiment pas pu participer, mais la simple menace a permis de s’assurer que la note finale soit le plus élevée possible pour le pays organisateur. À ce titre, les russes peuvent estimer avoir remporté la médaille d’or la plus improbable de ces jeux.

Voyage au centre des RP

Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de rose. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie.

Albert Londres –Terre d’ébène

Les liaisons dangereuses

Le travail de relations presse est un travail d’intermédiaire. L’équilibre tient pour l’attaché.e de presse dans une double compréhension des intérêts des journalistes qui cherchent autant à se faire l’écho de nouvelles informations que d’entreprises qui cherchent à mettre en avant leurs biens et services par le biais de sujets médiatiques du moment. Cet équilibre devient  précaire quand la question de la désinformation entre en jeu. La meilleure défense contre la désinformation reste la prise de recul, et parce qu’une information en chasse une autre, il est toujours essentiel de faire preuve de réactivité quand une opportunité de lier son client à une information se présente. En outre, par la pratique des « News Hijacks », l’attaché.e de presse est vulnérable à la désinformation, d’autant plus lorsque cette dernière elle prend des tournures aussi perverses que celle des punaises de lit.

Traité d’hygiène numérique

Il n’existe pas de sources infaillibles. Bien que certaines soient à privilégier, le fait de ne s’appuyer que sur une source unique peut mener à la désinformation, même si celle-ci est fiable – personne n’est à l’abri de reprendre de la désinformation par mégarde ! La désinformation est un phénomène ancien, qui s’est démocratisé au XXe siècle. Le fait que les acteurs de confiance puissent eux-mêmes être trompés est à la base de certaines stratégies de désinformation. Ainsi, il est possible de repérer rapidement certaines opérations de désinformation, souvent les plus grossières ou celles où le moins d’efforts sont dépensés. Cependant, certaines passeront toujours à travers les mailles du filet. Il est donc nécessaire de diversifier les sources au maximum. Et encore, dans le cas des punaises de lit, la diversification des sources n’épargne personne – après tout, des médias tels que Le Monde ou Le Figaro ont aussi relayé l’information.

Une option pour se préserver consiste à surveiller les publications des sphères connues de la désinformation. Cependant, il est nécessaire de conserver un certain équilibre, car le fait que des réseaux de désinformation reprennent l’information ne signifie pas pour autant que l’information est fausse. Néanmoins, s’ils la reprennent, c’est parce qu’ils ont un objectif en tête. Parmi les sources qui les ont reprises, certaines ne sont pas authentiques, ce qui peut remettre en question la viralité réelle de l’information. Ainsi, en plus de la diversification des sources, il est également important de se tenir au courant des pratiques de désinformation et des réseaux connus en consultant régulièrement des sites de Fact Checking tels qu’OpenFacto et Checknews.

Le Fact Checking est une pratique de vérification des faits utilisée par de nombreux médias qui ont lancé leurs propres projets. Il existe également des sites spécialisés dans l’attribution d’un niveau de confiance à diverses sources. Par exemple, Le Monde avait lancé son Décodex, une initiative qui n’est plus accessible aujourd’hui. Toutefois, ces initiatives ont pour défaut d’être extrêmement chronophages et posent des questions de ressources humaines. De plus, elles ne sont pas forcément lues par un grand nombre de personnes au moment de leur publication. Souvent, c’est parce qu’un lecteur a été victime de désinformation qu’il se tourne vers ces sources. En utilisant ces outils, il est possible de se faire rapidement une idée concernant la fiabilité de certaines d’entre elles.

Pour conclure

Aujourd’hui, avoir une bonne hygiène de l’information nécessite du temps. C’est pourquoi des personnes se spécialisent dans ce domaine. Il est donc pertinent de conduire une veille systématique de quelques sources de Fact Checking pour avoir régulièrement sous les yeux les dernières opérations de désinformation ayant été démontées. Cela permet de repérer les sujets qui apparaissent à la fois dans les informations et dans la désinformation et d’évaluer les risques associés. Il n’y a donc pas de solution miracle, mais des réflexes à acquérir, notamment en sachant remplacer la réflexion par l’émotion quand une information choquante ou surprenante nous parvient.

Dans notre métier, nous avons comme avantage de  nous aguerrir très rapidement dans cette guerre de l’attention, afin de faire ressortir l’important de la distraction pour nos clients. Si nous ne pouvons (évidemment) pas éviter tous les pièges, nous pouvons au moins les déceler promptement. Cela nous aide grandement dans les stratégies de communication que nous mettons en place pour nos clients 😊.

Guillaume Le Postec