Cette semaine, nous donnons la parole à Elsa Bembaron, journaliste au Figaro depuis 1997, que nous avons eu la chance de rencontrer pour discuter de la sortie de son nouveau livre, Ce pot de fleurs est un robot (éditions l’Archipel). Qui d’autre que cette experte en technologie grand public, thématique qu’elle couvre depuis plus de 10 ans pour Le Figaro, pouvait rassembler en un seul ouvrage une telle richesse d’exemples de ce que la technologie rend possible aujourd’hui ? Elsa Bembaron a accepté de répondre à nos questions.
Pour commencer, racontez-moi l’histoire autour de la rédaction de ce livre et la raison pour laquelle vous avez choisi cet angle ? C’est d’abord venu d’une idée de l’éditrice, qui m’a proposé de mettre à profit les informations que je traite au quotidien en tant que journaliste au Figaro ; mais c’était aussi une envie que j’avais identifiée autour de moi, celle d’avoir une sorte de bréviaire qui répertorie toutes les innovations existantes. Le but de ce livre est d’expliquer à tout un chacun comment se traduit concrètement la révolution numérique dont on parle tant, comment elle impacte nos vies et modifie profondément nos habitudes quotidiennes. Et surtout, montrer que cela touche tous les domaines existants, de la santé aux transports en passant par l’éducation et l’habitat individuel. Il s’agit donc d’expliquer pour permettre aux lecteurs de ne plus être uniquement spectateurs de ce phénomène, mais de véritablement le comprendre.
Qu’est-ce qui nourrit votre optimisme vis-à-vis de la révolution numérique ?
Je suis optimiste par nature, et je pense sincèrement que les choses vont en s’améliorant grâce à l’innovation. Le problème, c’est que nous avons perdu notre capacité d’émerveillement face à ce que la technologie nous apporte ; mais avec un peu de recul, on s’aperçoit que notre monde n’a rien à envier à un livre de science-fiction. Les progrès actuels sont considérables, par exemple dans le domaine médical : les intelligences artificielles ou les algorithmes nous permettent de détecter des problèmes jusqu’ici impossibles à détecter, c’est formidable ! Alors oui, la robotisation détruit des emplois, mais en crée aussi beaucoup d’autres derrière, ainsi que de formidables opportunités. Je pense qu’il vaut mieux voir le verre à moitié plein plutôt que l’inverse.
Dans votre livre, vous soulevez la question de la connaissance numérique, et le risque que la société se scinde en deux : ceux qui maîtrisent parfaitement la technologie et ceux qui ne font que l’utiliser. Pourquoi est-ce si important ?
C’est très important parce qu’on a le choix entre être un utilisateur passif ou actif des technologies. Dans le premier cas, cela revient à se laisser imposer les usages et les conséquences des technologies sur sa propre vie. Dans le second, on cherche à comprendre les mécanismes profonds qui se cachent derrière ces usages et les maîtriser. Or, c’est en sachant maîtriser les outils technologiques qu’on arrivera à faire avancer les choses de façon utile, à créer des postes de développeurs et les nouveaux services qui vont avec, et à trouver des entrepreneurs pour soutenir cette lancée. Cela relève de la responsabilité de chacun de ne pas se faire imposer des choix, mais aussi d’une responsabilité collective pour faire en sorte que la technologie aille dans le bon sens. Cela passe en premier lieu par l’éducation de nos enfants : au lieu de se contenter de les voir utiliser un appareil connecté pour regarder une vidéo sur YouTube, il faut aussi leur faire découvrir le mécanisme qui se cache derrière et leur apprendre comment on code.
Pourquoi choisir de parler d’intelligences artificielles au pluriel ?
Parce qu’aujourd’hui, l’intelligence artificielle n’est pas transverse ; il n’y a que des intelligences artificielles spécialisées dans un domaine unique. Cette hyperspécialisation permet d’aller très loin dans les connaissances, mais pas de faire de la transversalité, contrairement au cerveau humain qui est capable à la fois d’être doué en cancérologie, de conduire une voiture et de choisir un programme sur Netflix. L’intelligence artificielle est encore trop silotée, d’où l’utilisation du pluriel.
La technologie est souvent synonyme de flicage et de non-respect de la vie privée dans l’esprit des citoyens. Quel est votre avis sur ce thème que vous abordez à plusieurs reprises dans votre livre ?
Concernant les données personnelles, tout dépend du point de vue adopté : en France, on associe souvent l’utilisation des données à un vol de la vie privée, alors qu’en Chine c’est davantage toléré, voire même considéré comme bénéfique. De notre point de vue de Français, la façon dont la Chine utilise les données personnelles des citoyens s’apparente à une dérive. A ce sujet, les manifestations à Honk-Kong en 2019 sont l’exemple le plus abouti de ce qui se fait aujourd’hui en termes de surveillance automatisée des citoyens, notamment avec le traçage des manifestants via leur carte bancaire. Pour contrer cette utilisation liberticide de l’high tech, les citoyens hongkongais ont choisi d’employer des méthodes low tech, comme le port d’un maquillage intégral sur le visage pour tromper la reconnaissance faciale ou la création de cagnottes de monnaie physique pour permettre aux manifestants de s’acheter à manger sans utiliser leur carte de paiement.
Quel impact le RGPD peut avoir sur la suite des événements ?
Le RGPD représente une grosse avancée européenne en matière de protection des données individuelles ; la Californie s’en est d’ailleurs inspirée pour mettre en place une version allégée du règlement fin 2019. L’idée sous-jacente du RGPD est de protéger la confidentialité des données, mais aussi de pouvoir les transposer d’un service à un autre tout en continuant de profiter de leur valeur. Par exemple, un utilisateur de Netflix qui souhaite résilier son abonnement pour passer sur un service de streaming concurrent devrait pouvoir reprendre ses données pour les utiliser sur ce nouveau service, et ainsi conserver ses préférences et ses habitudes – suivant le même principe que la portabilité du numéro de téléphone. Encore une fois, le principal enjeu pour les utilisateurs aujourd’hui est de comprendre comment sont utilisées leurs données pour pouvoir faire leurs choix en toute connaissance.
Propos recueillis par Elodie Buch
Ce pot de fleurs est un robot, Elsa Bembaron, éditions L’Archipel, 2020, 19€