La parole aux journalistes : interview de Julien Baldacchino, journaliste IT pour France Inter
En tant que chroniqueur radio et journaliste web sur France Inter, Julien Baldacchino suit de près l’actualité technologique et high-tech internationale et met chaque semaine en avant un sujet dans sa chronique matinale Net Plus Ultra. Nous avons eu la chance de le rencontrer et de l’interroger sur son interprétation de l’équilibre des forces en vigueur dans le secteur technologique. Discussion avec un “geek grand public”, comme il se définit lui-même.
Comment déterminez-vous le sujet de votre chronique Net Plus Ultra chaque semaine ?
C’est un équilibre un peu serré entre un sujet d’actualité et mes préférences personnelles. Certaines semaines, la question ne se pose pas, car un sujet va clairement primer sur le reste, par exemple le CES. D’autres fois, je couvre des sujets que les autres services éditoriaux de France Inter n’ont pas relayés. Ma chronique devient alors l’occasion de rattraper ce manque : ça a été le cas avec la polémique autour du robot-cuiseur de Lidl, Monsieur Cuisine.
Je fais essentiellement de la veille sur Twitter, mais je me rends aussi parfois à des salons, comme VivaTech ou Virtuality. Je diffuse peu d’interviews durant mes chroniques, car le temps qui m’est imparti n’est pas suffisant pour cela ; mais j’utilise les interviews que je réalise durant ces événements pour rédiger mes chroniques.
Est-ce que le high-tech est un sujet qui vous a toujours passionné ou bien une opportunité qui s’est présentée ?
La tech et tout ce qui y touche m’ont toujours intéressé, j’avais donc une prédisposition pour ça. J’adore tester les nouvelles applications ou les nouveaux produits, j’ai une curiosité technologique assez prononcée. Je suis l’archétype du “geek grand public”, un profil parfaitement adapté au format assez court de ma chronique sur France Inter, pour laquelle je garde un niveau plutôt généraliste sans trop entrer dans le détail technique, mon but étant de ne perdre aucun auditeur, quel que soit son niveau.
Face aux innovations technologiques, à quelle école de pensée appartenez-vous : l’école optimiste ou pessimiste ?
Quand on lit des articles un peu alarmistes aujourd’hui, on a l’impression que ce sont les robots ou les intelligences artificielles qui vont nous rendre idiots, nous voler nos données et nous mener à notre perte. Mon point de vue est plus nuancé : je pense que ce ne sont pas les technologies qui changent l’avenir de la planète, c’est ce qu’on en fait. Les technologies, en elles-mêmes, ne nous conduiront à rien, car ce ne sont que des outils. L’inquiétude, à mes yeux, vient de l’usage que l’on en fait. Par exemple, je suis absolument fasciné par la technologie du “DeepFace” qui ouvre un champ des possibles énorme du point de vue de la création artistique ; le problème vient de son utilisation en politique, qui alimente les fake news, c’est totalement terrifiant.
Ce que je trouve très intéressant dans le sujet de l’univers technologique, c’est que c’est à la fois le Paradis et l’Enfer. Chaque innovation contient une face positive et puissante, et une face dangereuse et sujette aux dérives. La série Black Mirror illustre particulièrement bien cette idée, en montrant qu’une innovation technologique apporte des choses positives, mais qu’elle finit par dériver, à un moment donné, à cause d’un grain de sable imprévisible dans l’engrenage.
Selon vous, quelle est l’innovation technologique la plus marquante ou la plus importante à l’heure actuelle ?
Je dirais l’explosion des services de streaming musicaux et vidéos. Même si ça n’est pas extraordinaire en termes d’avancée technologique, cette tendance impacte directement d’autres secteurs, en particulier l’industrie du cinéma et de la musique et redéfinit la façon de produire ce type de contenus. Le modèle Netflix est en train de créer une façon très uniforme de produire des séries et de les diffuser ; aujourd’hui, plus aucun producteur ne diffuse sa série épisode par épisode comme avant. Quand la technologie n’est plus au service des données qu’elle doit transporter, et que c’est au tour des films, des séries ou des musiques de s’adapter à elle, il y a un vrai danger culturel. Il y a quelques années, une étude a révélé que, depuis l’apparition du streaming, les introductions de chansons avaient été considérablement raccourcies pour éviter que les utilisateurs ne passent à une autre chanson si celle qu’ils écoutent ne leur plaît pas dès les premières secondes. Je trouve particulièrement marquant le fait que le contenant définisse de plus en plus le contenu. Cela confère une position de toute puissance aux entreprises qui maîtrisent le contenant, autrement dit la technologie.
Et la technologie qui a ou aura, selon vous, le moins d’impact sur nos vies ?
La technologie à laquelle je ne crois pas du tout, en termes d’évolution et de perspectives, c’est la réalité virtuelle. La plupart des expériences que j’ai testées ont beau être bluffantes, le principe de la réalité virtuelle est de mettre les gens sous un casque et de les isoler, ce qui casse un pan important de l’expérience collective. Même si les utilisations dans lesquelles cela peut fonctionner sont nombreuses, comme le patrimoine culturel ou les jeux vidéos collectifs, je crois que certains plafonds de verre ne disparaîtront jamais, comme la lourdeur du dispositif technologique nécessaire ou l’importance de l’investissement financier que cela implique, et cantonneront la VR à des cas d’utilisation spécifiques.
En revanche, je crois beaucoup plus à la réalité augmentée, qui permet de se balader dans un lieu existant tout en recevant des informations supplémentaires par-dessus. Pour l’instant, on a encore conscience d’utiliser une technologie quand on fait de la réalité augmentée ; mais à partir du moment où ce sera naturel à utiliser, on aura atteint l’étape ultime.
Il est beaucoup question des innovations technologiques dans les médias grand public : trouvez-vous qu’on en parle assez, et surtout qu’on en parle “bien” ?
Je pense qu’on s’est enfin écartés de la vision futuriste en vogue autour de l’an 2000, mais je crains qu’on soit maintenant tombés dans le travers alarmiste, voire complotiste. Néanmoins, l’équilibre est assez bon, même si une actualité négative, comme un vol de données ou l’identification d’une dérive, fera forcément toujours la une.
Je pense qu’il y a de plus en plus de personnes prêtes à faire une croix sur leur voiture plutôt que sur Netflix, qui est devenu tellement central dans nos vies. Et contrairement à la sensibilisation sur la pollution liée aux transports individuels, le grand public n’a pas encore pris conscience de l’empreinte écologique de son utilisation d’Internet. Pourtant les data centers et les entrepôts d’Amazon consomment énormément d’énergie et ont un impact sur l’environnement. C’est sûrement l’un des gros défis qui attend la cause écologique dans les prochaines années, et ça ne sera pas facile, tant c’est ancré dans nos pratiques.
Elodie Buch