Un siècle après son apparition, la Silicon Valley, véritable pôle Tech accueillant toutes les industries de pointe, continue de se développer malgré le départ de quelques grands noms de la Tech à la suite de la pandémie. Aujourd’hui, une question se pose : « the Valley » fait-elle encore rêver les tecchies et les entrepreneurs ? C’est ce que nous allons découvrir ensemble à travers ce nouvel article.

Si l’appellation « Silicon Valley » a vu le jour en 1971, à l’initiative d’un journaliste, en référence au silicium, matériau de base des composants électroniques, la spécialisation de cette zone au Sud-Est de San Francisco dans le développement des technologies trouve son origine au début du 20e siècle, avec la création d’une entreprise de radiocommunications par un ancien étudiant de Stanford. Cette université va d’ailleurs jouer le rôle de colonne vertébrale et de moteur sur lesquels s’est construit la mythique Silicon Valley. Un siècle et une révolution technologique plus tard, elle compte environ 11 500 entreprises informatiques qui emploient 420 000 personnes et réalisent un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars.

Pourtant, ces dernières années, l’aura de la « pouponnière technologique mondiale » a vacillé. Est-ce la dynamique actuelle de doute et de suspicion que l’explosion de l’intelligence artificielle a ravivé ces derniers mois, ou bien simplement les conséquences d’une décadence de la place de leader mondial technologique des États-Unis ? Quoiqu’il en soit, on sent progressivement monter une remise en question de la place de phare technologique qu’occupait jusqu’à présent la Silicon Valley dans l’esprit de tous.

La Silicon Valley face aux réalités

En 2020, une vague de désertion de la Silicon Valley a déferlé sur les dirigeants, à l’image de Tesla, HP, Palantir ou encore Dropbox. Les raisons ? Le coût trop élevé de la vie en Californie, obligeant les entreprises à augmenter les salaires pour attirer des talents, le régime fiscal plus favorable dans d’autres États – notamment le Texas – et la plus grande facilité à installer de grands datacenters pour développer le Cloud à moindre coût.

Plus récemment, de nombreux GAMMA (ex GAFAM) ont annoncé un revirement sur la politique du télétravail, mise en place au moment de l’épidémie de Covid-19. De nombreux articles sont parus à ce sujet l’année dernière (dont celui-ci sur Le Figaro ou ce podcast des Échos), listant un à un les géants technologiques qui imposaient à leurs salariés un retour partiel, voire total au bureau, sous peine de licenciement : parmi elles, figurent notamment Zoom, Google, Amazon ou encore Meta, autant d’entreprises implantées dans la Silicon Valley, lieu mythique depuis lequel s’est essaimée cette vague réactionnaire et régressive. De quoi refroidir la motivation et l’implication des talents de ces entreprises, qui affectionnent particulièrement un mode de vie épanouissant, aussi bien sur le plan professionnel que personnel.

Par ailleurs, comment ne pas mentionner la faillite de la Silicon Valley Bank en mars 2023, dans un contexte de crise du secteur technologique après l’épidémie de Covid-19, mais aussi d’inflation et de crise économique mondiale ? Si les choses sont vite revenues à la normale, sans qu’aucun client ne perde de l’argent, cet événement a été un véritable choc pour le microcosme de la Silicon Valley, ajoutant une nouvelle ombre à son tableau.

Inside la Silicon Valley : les confidences de Luc Julia

À côté de ces jalons qui ont fait l’actualité ces dernières années, il est intéressant d’avoir également le point de vue d’acteurs technologiques qui connaissent la Silicon Valley car ils la pratiquent au quotidien.

En septembre 2022, sortait « Un Français dans la Silicon Valley », une œuvre écrite par Luc Julia, connu en tant que co-créateur de Siri et un expert incontournable du secteur Tech. Son but ? En finir avec les clichés – positifs comme négatifs – sur la Silicon Valley et rétablir la vérité, basée sur sa propre expérience étalée sur les trente dernières années.

Dans son livre, Luc Julia qualifie San Francisco et sa vallée de la Tech comme l’objet d’une ruée vers l’or, au même titre que celle connue par les pionniers américains au XIXe siècle. C’est dans cette optique qu’il a décidé de quitter la France au début des années 90, afin de profiter du dynamisme de la Silicon Valley ; là-bas, écrit-il, « j’ai appris à apprécier la culture de l’échec. En France, on déteste les gens qui échouent, on considère que ce sont des losers. Aux États-Unis, c’est le contraire ».

Il raconte sa difficile collaboration sous l’égide de Scott Forstall, qui dirige le département iOS chez Apple, et partage sa vision plutôt négative du géant à la pomme. Il évoque ensuite son expérience chez Samsung, qui lui permettra de créer un laboratoire dédié à l’intelligence artificielle en France. Au passage, il brosse un sévère portrait d’Amazon, pour qui il n’a travaillé qu’un mois seulement et qu’il décrit comme étant une entreprise « entièrement dédiée à ses clients », mais « qui ne traite pas très bien ses employés » en contrepartie.

De son livre, il ressort que Luc Julia n’est pas un déçu de la Silicon Valley, mais plutôt un pratiquant chevronné, qui la voit et la juge avec des yeux d’insider expert : il loue son « esprit combatif permanent, cette faculté d’adaptation et surtout la possibilité offerte aux entrepreneurs de pouvoir rebondir après un échec ou une faillite sans être marqué du sceau de l’infamie ».

Il conclut avec une revue personnelle des géants de la Tech et de leurs figures leader : si Tim Cook, Bill Gates ou encore Elon Musk en sortent avec des compliments, Facebook en prend pour son grade, en étant notamment qualifiée de « modèle qui privilégie l’argent à tout prix » ou encore de « société qui représente ce qu’on peut trouver de pire dans la Vallée ».

Un objet de fascination

Ce livre peut être mis en parallèle avec celui d’Anna Wiener (« L’étrange Vallée »), déjà abordé sur notre blog et qui racontait, en long, en large et en détails, la Silicon Valley du point de vue d’une outsider cette fois. Un témoignage qui brossait un portrait assez sombre de ce à quoi travailler au sein de la plus grande ruche technologique au monde ressemblait.

Dans un registre fictionnel, « M, le bord de l’abîme » du romancier Bernard Minier, donne également une vision inquiétante des stratégies appliquées par les grandes entreprises technologiques et des décisions de leurs dirigeants. Sans rapport direct avec la Silicon Valley – puisqu’il s’agit ici d’une entreprise basée à Hong-Kong –, ce polar n’en reprend pas moins les mêmes codes, notamment l’engouement pour l’innovation technologique, la mégalomanie du fondateur de l’entreprise et les conditions de travail parfois sans limites claires avec la vie privée. De quoi alimenter encore un peu plus les fantasmes !

Pour conclure

Pour en revenir à la Silicon Valley et à la question initiale « fait-elle encore rêver ? », le spécialiste Luc Julia affirme qu’elle va « continuer de tracer les chemins de l’innovation », tout en rappelant qu’à ses débuts, il travaillait « 100 heures par semaine » et considérait cela plus comme de l’amusement que comme du travail.

À l’aune des attentes des employés de la Tech pour une vie plus équilibrée, mais aussi des menaces au statu quo qui existent (considérations écologiques, inflation, raréfaction des ressources et pénurie des métaux rares, ou encore crise des talents), à quoi ressemblera le futur de la Silicon Valley ? La fascination pour la technologie servira-t-elle encore d’écran de fumée pour cacher la réalité des conditions de travail ? L’aura dont a bénéficié, pendant plusieurs décennies, « the Valley », pourra-t-elle être maintenue, en dépit du contexte en pleine mutation ? Une évolution constante qu’il faut continuer de suivre de près dans les prochaines années !

Elodie Buch