En plus d’être une femme journaliste informatique depuis plus de 20 ans, Sabine Terrey, rédactrice en chef du site iTPro.fr et du magazine Smart DSI, est aussi engagée depuis plusieurs années dans le comité de direction de l’association Women in Technology (WIT) France, pour promouvoir ce secteur qu’elle maîtrise sur le bout des doigts auprès des femmes et des jeunes filles. Nous avons pu échanger avec elle sur ces sujets, différents et pourtant très liés. 

Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel en quelques mots, jusqu’à votre poste actuel de Directrice de la Rédaction d’iTPro.fr ?

J’ai commencé au début des années 2000, en tant que journaliste dans la rédaction de presse IT dont je fais toujours partie à l’heure actuelle, mais dont le nom a évolué au fil des années, passant de Windows 2000 magazine à Windows IT magazine, puis IT Pro magazine, Smart DSI…

Mon choix pour ce secteur dès le début de ma carrière est dû à un concours de circonstances. Je ne savais pas encore que j’allais rester, je connaissais peu ces sujets, mais ils m’attiraient déjà, et finalement cela m’a plu.

Quels sont les jalons d’évolution que vous avez constatés depuis votre arrivée dans ce groupe ?

L’évolution du groupe a suivi celui des environnements IT. Au départ, nous traitions les environnements plutôt verticaux, comme l’illustre très bien le nom de Windows magazine, puis nous sommes passés rapidement à des environnements transverses, avec iTPro.fr et Smart DSI, pour intégrer l’ensemble des sujets, comme la cybersécurité, le cloud, l’IA, la data… Aujourd’hui, nous accompagnons les décideurs dans leur transformation digitale, quel que soit leur environnement, en touchant à tous les thèmes pour les aider à affiner leur prise de décision.

Quels sujets voyez-vous dominer l’actualité IT ces derniers mois ?

Il y a beaucoup de sujets, c’est sûr. Selon moi, le sujet n°1 est la cybersécurité : c’est impossible de faire l’impasse dessus, que ce soit d’un point de vue personnel ou professionnel. Les attaques sont là, elles augmentent en fréquence et en force, exacerbées par certains éléments contextuels comme les Jeux olympiques et les élections. L’IA est, de toute évidence, un sujet tout aussi important, mais je le relie à celui de la cybersécurité. Globalement, je pense qu’il est essentiel de se positionner sur tous les fronts (cloud, données, etc.) sans mettre de côté un sujet par rapport à un autre. Cependant, il est vrai que la cybersécurité et l’IA, qui sont deux sujets qui inquiètent, restent inévitablement sur le devant de la scène.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la presse informatique B2B ces dernières années ?

L’environnement des technologies évolue vite, avec beaucoup de nouveautés et d’enjeux complexes ; on ne peut clairement pas qualifier cet environnement de calme, c’est plutôt un secteur très actif et appelé à le rester ! La presse a donc dû s’adapter, notamment par le biais de rachats, de restructurations, ou encore de nouveaux entrants. Selon moi, c’est à nous de nous renouveler et d’être créatifs, à la fois pour les lecteurs et pour les annonceurs. Par ailleurs, malgré la facilité pour les lecteurs d’aujourd’hui de chercher et trouver des informations, il est nécessaire de les accompagner avec le magazine tous les trimestres, en particulier pour les DSI et les responsables informatiques qui n’ont pas forcément le temps d’aller chercher eux-mêmes les informations. Notre rôle consiste avant tout à leur fournir un condensé de tout ce qui existe et de leur faciliter la tâche au maximum.

L’autre enjeu de notre presse, c’est d’attirer de jeunes journalistes. Pour moi, le secteur IT est très intéressant et même passionnant, car on touche à beaucoup de sujets différents liés à l’innovation, à la créativité des entrepreneuriats, à l’intelligence collective, ou encore à l’impact sociétal et environnemental. J’espère que cette mise en perspective pourra stimuler l’intérêt des jeunes journalistes et les aider à dépasser l’effet intimidant du mot « Tech ».

En tant que membre du board Women in Technology France, quelle est l’ambition de cette organisation ?

J’ai rejoint le board du Women in Technology France en 2018. Le réseau a été lancé en 2016 par Karima Moudoub, avec trois autres femmes. C’est le réseau sœur du WIT Network international, qui travaille sur trois missions principales : promouvoir les carrières dans les filiales Tech et IT auprès du plus grand nombre de femmes et de jeunes filles ; favoriser l’égalité des conditions de carrière entre hommes et femmes, et maintenir les femmes en poste – car elles partent souvent une dizaine d’années après avoir exercé ce métier ; et enfin créer des boites à outils dédiées à l’épanouissement et au développement des vocations. Le réseau WIT France s’appuie sur des partenaires comme Social Builder, qui aident à attirer les talents et à informer sur l’existence de formations sur les sujets technologiques ou encore Open Mentoring Network, et le Laboratoire de l’Egalité. Aujourd’hui, on compte environ 1 000 adhérentes.

Selon vous, pourquoi les femmes font-elles face à autant de barrières qui les empêchent d’accéder, au même rythme que les hommes, au secteur informatique/technologique ?

Après de nombreuses réunions et rencontres avec les femmes membres du réseau, je suis arrivée à la conclusion suivante : les barrières commencent dès l’école. On ne parle pas suffisamment (voire pas du tout) de ce secteur aux filles, elles sont formatées différemment et, comparé aux garçons, on ne les encourage pas assez à suivre des voies scientifiques et technologiques, et ce alors même que les femmes y ont toute leur place. Avec WIT France, nous avons pris conscience de ce manque de connaissances au moment de la réalisation de vidéos-portraits de femmes en reconversion il y a environ trois ans : elles n’avaient jamais entendu parler de la Tech avant, dans le cadre de leur cursus professionnel. Pourtant, je pense qu’il faut agir dès le plus jeune âge et tout au long de la scolarité. J’espère que tout cela va bientôt changer. Il y a déjà des actions menées dans les lycées et collèges, mais je pense que c’est encore insuffisant et trop isolé à chaque fois. Ça ne peut pas être un « one shot », il faut penser à de nouveaux formats, impliquer davantage les entreprises et organiser des sessions d’immersion de plusieurs semaines, par exemple un stage de 3e dans une entreprise de la Tech. Car si les filles ne baignent pas déjà dans un environnement imprégné par la Tech, elles n’ont aucune chance de le découvrir autrement. Je pense que cela doit se faire le plus tôt possible, en primaire par exemple, et surtout être entretenu tout au long du collège.

Pourtant, aujourd’hui, la technologie est devenue incontournable dans notre quotidien ; est-ce que les jeunes filles ne bénéficient pas de cet accès généralisé à la Tech dans leur prise de conscience ?

Même si les outils technologiques sont évidemment plus répandus qu’il y a vingt ou trente ans, avec la généralisation du téléphone portable et de l’utilisation d’Internet dans notre vie quotidienne, je ne pense pas que cela ait une incidence sur le maintien des femmes à l’écart des carrières technologiques. Ce n’est pas pour cela qu’elles vont davantage y penser et l’envisager pour leur métier. Selon moi, l’élément le plus impactant, c’est l’éducation. Il faut peut-être aussi davantage communiquer sur les bénéfices des carrières dans la Tech, en termes de salaires et de débouchés, qui sont des facteurs d’indépendance non négligeables pour les femmes.

Si l’on fait le parallèle entre le secteur Tech et la presse IT B2B, secteur dans lequel les femmes journalistes se font quand même rares, quelle est votre vision de cette situation ? Pourquoi, selon vous, les femmes sont-elles minoritaires dans cette presse ? La situation est-elle en train d’évoluer ?

Il y a quelques femmes journalistes dans cette presse, même si elles restent encore minoritaires. Pour que cela change, il faut impulser un sentiment de confiance pour qu’elles aient envie de s’approprier le sujet, car là encore, elles sont totalement légitimes pour le faire. Je pense que cela a évolué et j’espère que cela va continuer. J’ai aussi parfois l’impression que certaines entreprises technologiques sont rassurées d’avoir affaire à un journaliste masculin. Il y a donc encore du travail pour que cela change et que les mentalités évoluent vraiment.

Auriez-vous une recommandation culturelle à nous partager, en lien avec la Tech ou le journalisme ?

Pour rester dans la thématique que nous avons abordée, je recommande Je suis une femme et je travaille dans la cybersécurité de Nacira Salvan, présidente du Cefcys (Cercle des Femmes de la Cybersécurité). Ce livre met en avant des portraits de femmes qui travaillent dans ce secteur, en faisant la promotion de leur « role model ». C’est une lecture intéressante, que je conseille pour attirer plus de femmes vers ces carrières.

Propos recueillis par Elodie Buch